Le confinement est un bouleversement majeur de notre quotidien et de nos habitudes. Cette crise sanitaire qui nous a empêché de sortir pendant près de trois mois, a fait déplacer les gestes de solidarités et autres initiatives citoyennes habituellement organisées dans les rues, sur la toile. Comment conserver toutes ces données si fragiles et éphémères ? Telle est la question que se sont posée les archivistes en Belgique et partout dans le monde.
In een eerste artikel (hier), notre collègue Willem Vanneste de l’Université d’Anvers vous donnait une série de premiers conseils et de pistes de réflexions pour lancer votre projet d’archivage du web. Virginien Horge de la Ville de Mons, vous a également présenté dans un article (hier) quelques unes des solutions d’archivage du web.
Depuis le lancement de la plate-forme, de nombreux centres et services d’archives se sont lancés dans la collecte de témoignages et documents de cette crise sanitaire et du confinement. Mais concrètement, comment s’est déroulée leur campagne de collecte des archives électroniques? Nous avons donc posé la question à quatre archivistes travaillant dans des centres d’archives différents –les archives de la ville de Mons, les archives de la ville de Charleroi, le CArCoB et le service d’archives de l’UCL – pour comprendre comment leur campagne d’archivage du web a commencé et quel processus elle a suivi.
La première étape a été bien entendu de prendre la décision de commencer une opération d’archivages web. Très vite, les centres d’archives ont compris que cette crise était sans précédent et qu’il était essentiel, pour les générations futures, de garder une trace de cette dernière. De nombreux archivistes, voyant le nombre de sites, réseaux sociaux et autres aborder le sujet du confinement et du COVID-19, ont décidé au début du mois d’avril de conserver ces traces fugaces de l’histoire.
Tous les centres n’ont malheureusement pas eu la possibilité de le faire. Archiver prend du temps – temps qui ne pourra pas être consacré à l’archivage papier – et demande parfois d’avoir des autorisations bien précises et également d’avoir des sites à archiver. Voilà pourquoi certains archivistes préfèrent donc, comme c’est le cas aux archives de la ville de Charleroi, attendre d’avoir un projet concret de recherche pour retourner dans les sites et pages de réseaux sociaux sur le confinement et le COVID-19.
Archiver oui, mais quoi ?
Vient ensuite le choix de ce qui doit être gardé. Dans cette cacophonie constante d’informations et de témoignages, restreindre la portée de l’archivage est essentiel. Pour les centres d’archives communaux, la première limitation est bien entendu géographique. Ainsi, les archives de la ville de Mons n’ont enregistré des initiatives et des pages Facebook que si elles portent sur Mons et le Borinage. Pour les centres d’archives spécifiques à une thématique ou une institution, le choix d’archives web à garder se fait dans la même lignée que les archives papier conservées dans leur dépôt. Le service d’archives de l’UCL, par exemple, se concentre sur tout ce qui tourne autour de l’université et de la ville de Louvain-La-Neuve.
Choisir le contenu que l’on va archiver est important afin de créer une image aussi fidèle que possible, pour les générations futures, des activités sur le web pendant cette période de crise. Le CArCoB par exemple, a pris le parti d’archiver des sites internet d’organisations – telles que les sites du PTB, de la Lutte ouvrière, de la Gauche anticapitaliste, etc. – dont les archives sont déjà conservées au dépôt, mais de ne pas se concentrer sur les initiatives citoyennes.
L’UCL en revanche, conserve non seulement quelques initiatives citoyennes repérées, mais également certaines pages Facebook comme la page officielle de l’UCLouvain et un petit nombre de posts d’UConfessions (une page de confessions anonyme pour les étudiants de l’université).
Un défi pratique
Pour beaucoup de centres, archiver la toile est une grande première. Il a donc fallu non seulement trouver les outils, mais également apprendre à les utiliser. La recherche s’est donc faite par tâtonnement et l’apprentissage a été fait sur le tas. Le service d’archives de l’université semble être un cas à part, car depuis quelques années de nombreuses pages ont déjà été enregistrées et conservées, dont le site complet de l’UCLouvain, avant que celui-ci ne change de design.
Les outils pour enregistrer les sites et réseaux sociaux sont multiples, et choisir celui qui convient peut être un véritable casse-tête. Un des critères essentiels pour le choix est bien entendu la facilité d’utilisation. Les archivistes devant trouver seuls comment les outils fonctionnent, un outil trop compliqué à utiliser serait une perte de temps.
Il y a bien entendu aussi le côté pratique. Il ne suffit pas d’enregistrer toutes les pages de sites web ou de réseaux sociaux, il faut également les conserver sur le long terme et pour cela, les sites doivent être enregistrés dans un format qui restera accessible. HTTrack ou encore Single Files sont souvent désignés comme étant des outils fiables, pratiques et simples d’utilisation. Le premier permet d’enregistrer des sites entiers et pas uniquement la page d’accueil, de les indexer automatiquement et ensuite de les enregistrer localement. En revanche, HTTrack ne fonctionne pas pour les réseaux sociaux. Voilà pourquoi l’outil SingleFile, est souvent nommé comme alternative du premier.
Bien entendu, archiver le web n’est certainement pas la seule prérogative des archivistes. La typologie des archives du confinement est étendue et il faut récolter les autres formes de témoignages tels que les dessins, photos, vidéos, et autres. De plus, les centres d’archives ayant été rouverts, les archivistes doivent maintenant jongler entre leurs tâches habituelles et la collecte d’archives spécifiques au confinement. C’est donc généralement une ou deux personnes de l’équipe qui s’en charge une ou deux fois par semaine. À l’Université catholique de Louvain, quatre archivistes s’y emploient un ou deux jours par semaine, ce qui forme une exception.
La mémoire du confinement, une histoire en chantier
Une des raisons pour laquelle cette campagne de récolte a lieu est bien entendu de pouvoir écrire, dans quelques années, une histoire du confinement. Pour le moment, rien de concret n’est encore décidé. Le mot d’ordre dans les centres est : terminer l’archivage des sites jusqu’à la fin du déconfinement. Toutefois, beaucoup d’entre eux ont déjà la tête tournée vers l’avenir et vers de possibles collaborations pour mettre leurs archives en valeur. Il faudra donc non seulement créer des inventaires, mais également contacter des chercheurs que ce soit en sociologie ou en histoire.
La mémoire du confinement va mobiliser des sources encore jamais utilisées et permettre, plus que jamais, de savoir comment la population a vécu et ressenti un évènement. Cette période sera sans nul doute le sujet de bien des travaux académiques, que ce soit maintenant ou dans quelques années.
Le confinement, une opportunité pour l’archivage du web ?
La question est bien entendu de savoir si cette nouvelle pratique va continuer dans tous les centres où elle a été initiée. L’archivage web sera-t-il dans quelques années un standard en termes de pratiques d’archivage ? L’archiviste de la ville de Mons prévoit déjà, bien que de façon bien moins intensive que ce qui est fait actuellement, de conserver pour certains évènements spécifiques, des pages Facebook ou des sites internet. Il y a bien entendu le célèbre Doudou de Mons, mais également des archives plus politiques dans le cadre d’élections au niveau local.
Au CArCoB, la priorité est de se familiariser de façon plus intensive avec des logiciels permettant l’archivage des réseaux sociaux en participant à une formation en la matière. Même s’ils n’ont pas de projets fixes et déterminés, pour eux cette expérience a permis de faire naitre une pratique selon eux fondamentale dans les prochaines années.
Les archivistes de l’Université catholique de Louvain, bien qu’il n’y ait pas de projets précis non plus, savent qu’il y aura forcément des recherches sur le confinement, et des rappels de ces évènements lors d’expositions ou de communications scientifiques.
Une opportunité oui, mais les archivistes avancent encore en tâtonnement, il faudra mettre de l’éclairage sur la situation avant de pourvoir faire de réelles avancées.