En cette fin de mois de mai, la question du retour des enfants à l’école fait débat dans la plupart des médias.
À Bruxelles, la coalition des parents en situation précaire s’est très tôt mobilisée autour de l’impact de la crise sanitaire sur la scolarité de leurs enfants.
Enseignante retraitée et militante CGé (ChanGements pour l’égalité), Noëlle Desmet a fourni au Carhop une série de documents retraçant l’activité de cette association qui soutient activement la coalition.
En effet, la CGé est un mouvement d’éducation permanente bruxellois à visée socio-pédagogique. Durant le confinement, son activité s’est centrée sur les actions de la coalition de parents de milieux populaires et des associations qui la soutiennent. À l’heure du Covid, les échanges entre l’école et les familles les plus précarisées éclairent d’une manière particulière la question de l’égalité scolaire.
Voici le regard de cette coalition qui regroupe plus de cinq cents parents sur les enjeux du confinement :
« En se donnant comme objectif clair d’améliorer la qualité de notre enseignement tout en réduisant les inégalités scolaires, le Pacte suscite de l’espoir et un élan que le confinement vient hypothéquer : au lieu d’avancer, on pourrait faire encore un bond en arrière…
Depuis bientôt 2 ans, une quarantaine d’associations[1] bruxelloises et quelques 500 parents qui les fréquentent se mobilisent pour comprendre ce qui se joue à l’école pour leurs enfants : comprendre comment le fonctionnement impacte lourdement la scolarité de leurs enfants en transformant leur situation sociale en inégalités scolaires. Ils veulent comprendre aussi ce qui se prépare et ce que pourraient apporter les réformes qui se profilent avec le Pacte et contribuer à leur mesure à changer l’école à partir du terrain, en partant de la réalité qu’ils y vivent au quotidien.
Ces familles engagées dans la Coalition des parents de milieux populaires et des organisations qui les soutiennent vivent déjà, en temps normal, un lien difficile avec l’école et, en particulier, dans la communication. Les écoles ne mesurent pas combien – avec leurs codes qui ne sont pas ceux attendus par les enseignants – ces familles mènent un combat quotidien pour tenter d’offrir à leurs enfants, via l’école et l’accès au savoir, un futur meilleur et une pleine citoyenneté.
La ministre a pris rapidement une circulaire qu’elle voulait très claire : assurer la continuité pédagogique sans nouveaux apprentissages scolaires[2], tenir compte de la disparité des situations des enfants confinés, et pour les apprentissages en ligne, s’assurer que chaque élève dispose du matériel et du soutien nécessaire. Maintenir un lien social avec chaque élève et entre les élèves et ne procéder qu’à des évaluations formatives.
Mais c’était sans compter avec une des particularités de notre système éducatif qui fait que chaque école procède à sa façon et que, régulièrement, chaque enseignant au sein de chaque école procède pour bonne part comme il le souhaite.
Ça donne un patchwork incroyable, entre des écoles et des enseignants qui submergent leurs élèves de travail à domicile, certaines qui proposent de nouveaux apprentissages et pratiquent l’évaluation sommative, malgré l’interdiction, d’autres qui déploient beaucoup d’efforts et d’ingéniosité pour maintenir le lien et proposer à leurs élèves des activités créatives qui ne reposent pas sur les familles, d’autres encore qui ne proposent rien et ne maintiennent même pas le contact.
Il n’y a pas de vérification systématique des conditions matérielles de travail : accès internet, outils informatiques et d’impression adéquats, matériels d’écriture etc…
Et il n’y a pas de prise de connaissance et de prise en compte systématiques de la réalité des conditions de vie des familles : par exemple de la capacité des parents à la compréhension de la langue des consignes.
Et donc, certaines familles réussissent avec les écoles à maintenir un moment de travail scolaire à la maison, mais pas toutes. Et ce n’est pas leur faute.
En tous cas, il y a une pression énorme exercée vers les parents. Certains craquent, se culpabilisent. L’angoisse s’exprime aussi sur l’après : la reprise, les examens, la rentrée de la prochaine année scolaire. Et la situation est encore plus tendue pour les enfants et jeunes de l’enseignement spécialisé, ceux qui pourtant ont le plus besoin de soutiens spécifiques.
Dans les médias, les points de repère sont presque toujours les familles de classes moyennes (niveau hautes écoles, jardin, accès à internet, habitat spacieux…). Difficile de ne pas se culpabiliser quand on ne vit pas dans ces conditions-là.
C’est pourquoi les parents et associations de la Coalition tirent la sonnette d’alarme pour répondre à des préoccupations urgentes des familles mais aussi pour mettre en place des conditions sereines et adaptées de reprise. Il n’est pas question de pointer du doigt quiconque – chacun.e essaye de faire son possible et nous imaginons bien combien cette situation doit générer un surcroit de travail et de stress pour bon nombre d’enseignants. Nous souhaitons contribuer à chercher des solutions de collaboration à partir des retours de situations vécues et de nombreux témoignages des familles qui nous parviennent. Mais une chose est claire : il est urgent d’agir.
Que faire, alors ?
Du côté des responsables politiques et des réseaux, nous demandons de communiquer des consignes beaucoup plus claires et précises aux écoles :
- De vérifier systématiquement les conditions matérielles de travail en lien avec l’école dans les familles: accès internet, outils informatiques et d’impression adéquats, matériels d’écriture etc…
- De prendre connaissance de la réalité des conditions de vie des familles de chaque enfant et la prendre en compte systématiquement : par exemple, la capacité des parents à la compréhension de la langue des consignes, la possibilité d’aider les enfants s’ils ne comprennent pas, la possibilité d’avoir un minimum d’espace pour assurer la concentration de l’enfant…
Nous pensons que si les écoles étaient amenées, par circulaire, à faire ces deux démarches avant de donner le travail aux enfants, cela pourrait réorienter les pratiques vers moins d’inégalités.
Et donner priorité au lien et contact : chaque enfant doit être appelé et ses parents considérés comme des partenaires réels. Partir de l’écoute des parents permettra d’adapter les conseils d’apprentissages.
Restera à mettre en place des bonnes pratiques pour établir ce lien de façon respectueuse et un suivi adapté du travail demandé par l’école . des bonnes pratiques aussi pour vérifier que les mesures prises par la circulaire soient comprises et réalisées par tout le monde (professionnels et parents).
Et pour la suite : exiger qu’on reprenne là où on aura arrêté et pas comme si on avait appris des choses dans l’intervalle. Tant pis pour les familles et les écoles qui ont continué à enseigner des nouvelles matières malgré l’interdiction. Un tri est nécessaire pour distinguer ce qui est vraiment nécessaire comme apprentissage. Ne pas vouloir rattraper « la matière perdue » et augmenter le rythme.
Mais il n’y a pas que la « matière scolaire » : il va falloir aussi prendre du temps pour que les enfants puissent exprimer avec des mots ce qu’ils ont vécu. Parce que veiller à leur équilibre émotionnel et psychique est la condition préalable à tout apprentissage.
Du côté des écoles, nous les invitons à se rendre compte qu’elles ne sont pas toutes seules face à la tâche : quand les enfants et/ou les familles sont suivis par une association (EDD, AMO, service de santé mentale,…) celles-ci se tiennent au courant. Elles essayent d’aider les familles en les rassurant.
Elles mettent aussi en place des initiatives pour soutenir les familles avec le risque de prendre des responsabilités qui doivent surtout, en ces moments inédits, être prises par l’école. Nous pensons que cette situation est aussi une opportunité pour que l’école construise une réelle communication avec les familles de milieux populaires dont c’est une revendication importante.
Les associations sont, au même titre que les parents, des partenaires de l’école pour soutenir le lien et mettre en place les conditions pour que les enfants de milieux populaires puissent apprendre.
À toutes ces conditions, le confinement pourrait être une opportunité pour progresser dans la réduction des inégalités scolaires !
Pour la coalition des parents de milieux populaires et des organisations qui les soutiennent,
Agnès, Arnaud, Claude, Eloïna, Fred, Hamel, Ibrahim, Karima, Khadija, Julie, Nathalie, Noëlle, Patrick, Pierre, Rafiaa, Soraya, Sükran, Thomas, Véronique. »
Témoignage recueilli par Josiane Jacoby, sociologue au Carhop asbl
[1] Écoles de devoirs, maisons de quartier, services d’éducation permanente, …
[2] C’est nous qui ajoutons cette distinction, elle ne figure pas dans la circulaire.